Attention « cyber-flâneurs » : le patron vous a à l'oeil!

par Melanie Joy Douglas, Monster.ca

À quel moment les intérêts d’affaires légitimes d’un employeur constituent-ils une intrusion inacceptable de la vie privée des travailleurs?

Au moment même où vous lisez cet article en ligne de votre ordinateur au travail, il y a fort à parier qu’un logiciel surveille l’utilisation que vous faites de l’Internet. Ce logiciel classe des dizaines de milliers de sites Web comme étant « productifs », « non productifs » et « neutres » et évalue votre mode de navigation. Il existe également des systèmes qui fouillent dans vos courriels, vos programmes et vos documents sauvegardés. En fait, votre patron n’a qu’à aller sur votre disque dur, consulter votre mémoire cache pour suivre vos déplacements sur l’Internet, puis lire vos courriels. Et rappelez-vous qu’il ne suffit pas de vider votre corbeille à courriels; de nombreux spécialistes en informatique peuvent extraire vos messages à la dérive dans le cyberespace.

Hélas, vos recours comme employé sont limités. Même si la Loi sur la protection des renseignements personnels vous permet de porter plainte sur la façon dont une entreprise traite vos données personnelles, lorsque vous estimez que votre droit à la vie privée a été bafoué, la loi se range du côté des employeurs : l’employé utilise la propriété de l’employeur (ordinateurs et réseaux) et, de ce fait, les attentes de l’employé en matière de respect de la vie privée sont tout au mieux minimes. Comme l’explique le professeur en droit Dorothy Glancy : « Si les employés veulent avoir des échanges privés, ils peuvent le faire durant leurs temps libres et en utilisant leur propre équipement. »

Toutefois, le fait que la surveillance des employés soit légale ne la rend pas pour autant légitime. Sur un plan purement éthique, plusieurs sont d’avis qu’un employé n’a pas à céder tous ses droits à la vie privée dès qu’il met le pied au travail.

Dans son article intitulé Little Brother is watching you (Le patron vous surveille), Miriam Schulman tente d’obtenir l’heure juste auprès de Michael J. Meyer, professeur de philosophie à SCU. « L’employé est un agent moral autonome, explique-t-il. Entre autres, certains droits lui confèrent un statut moral indépendant, dont l’un (et non le moindre) est de ne pas être utilisé par les autres dans le but d’accroître leur bien-être ou leurs profits. Comme entité capable de penser, l’être humain est plus qu’un pion que l’entreprise peut déplacer à sa guise sur l’échiquier de la rentabilité maximale. Il a droit au respect, ce qui demande une certaine attention à sa vie privée. Si un patron devait surveiller chaque conversation ou chaque déplacement, un tel environnement évoquerait davantage la prison qu’un milieu de travail bienveillant. »

Afin de combler l’écart entre la loi et l’éthique, William Parent, également professeur de philosophie à SCU, décrit six critères permettant d’établir si une intrusion de la vie privée est justifiable :
• Dans quel but cherche-t-on à obtenir les connaissances personnelles non documentées?
• Ce but est-il important et légitime?
• Les connaissances qu’on cherche à obtenir par le biais d’une intrusion de la vie privée sont-elles pertinentes par rapport à la justification visée?
• L’intrusion de la vie privée constitue-t-elle l’unique moyen (ou le moins répréhensible) d’obtenir ces connaissances?
• Quelles restrictions ont été mises en place relativement aux techniques d’intrusion de la vie privée?
• Comment les données personnelles seront-elles protégées une fois qu’on les aura obtenues?
Les employeurs s’inquiètent avec raison des activités de leurs employés sur l’Internet, ce qui dépasse le simple cadre de la perte de productivité. Un employé peut accuser et même poursuivre son employeur si des courriels inappropriés sont diffusés sur le système de courrier électronique de l’entreprise. Par exemple, si un employé est contrarié par une blague raciste ou sexiste ou par un courriel utilisant un langage grossier qui ont été diffusés par ses collègues, il peut poursuivre son employeur pour avoir créé un milieu de travail hostile. Il serait donc injuste de nier aux entreprises leur droit de surveiller le contenu de leurs réseaux, mais de les tenir responsables de toute forme de comportement inacceptable.

Une analogie

Lorsqu’un employeur prétend qu’il a le droit de lire les courriels de ses employés sous prétexte que l’équipement informatique qui les diffuse lui appartient, cette logique peut être dangereuse.

Prenons l’exemple de madame Schulman : « C’est la pause du dîner. Une employée écrit une lettre à son petit ami, la glisse dans une enveloppe sur laquelle elle colle un timbre avant de la déposer dans le panier du courrier à expédier. Le fait que le crayon et le papier qu’elle a utilisés appartiennent à son employeur donne-t-il le droit à ce dernier d’ouvrir et de lire la lettre? »

Il faut tout de même préciser que ce ne sont pas toutes les entreprises qui préconisent la surveillance au travail. Dans un récent sondage mené par PC World, la moitié des dirigeants interrogés s’opposaient en fait au contrôle de l’utilisation de l’Internet par les employés et considéraient que les entreprises qui imposaient ce type de contrôle faisaient preuve d’un manque de confiance.

Une solution

On peut établir un terrain d’entente dans les énoncés de divulgation. Si l’employeur assure la protection de la vie privée, c’est alors ce à quoi l’employé est en droit de s’attendre. Toutefois, si l’employeur se réserve le droit de contrôler les courriels et la navigation sur l’Internet, alors le travailleur a le choix entre accepter ces conditions ou chercher un emploi ailleurs. En bout de ligne, des politiques bien définies sur la surveillance électronique doivent être communiquées efficacement aux employés.

Cela dit, si la vie privée des employés est prise à parti, l’employeur remarquera peut-être une altération des relations avec ses employés : il s’ensuit alors une baisse de moral, de productivité et de loyauté, sans compter une perte de confiance dans la technologie. La société se retrouverait aux prises avec une perte de confiance des consommateurs et une baisse de productivité des entreprises. Pour l’employeur, la marge est étroite entre assurer sa protection légitime et commettre des indiscrétions.