Des questions qui en cachent d'autres

Par Johanne Ménard
Collaboratrice de Monster

Je m’en souviens comme si c’était hier. Je venais tout juste de terminer un premier emploi « professionnel » (un emploi temporaire de quelques mois), alors que j’étais convoquée en entrevue pour un poste dans une entreprise parapublique bien en vue. Toute aguerrie du haut de ma jeune vingtaine, je répondais aux questions d’un directeur général pour le moins impressionnant. Tout se déroulait plutôt bien jusqu’à ce que ce dernier me prenne au dépourvu avec une question que je n’avais vraiment pas vu venir. Il m’a demandé de but en blanc, en me regardant bien droit dans les yeux: « Madame, avez-vous l’intention d’avoir des enfants? » Et moi, toute rose de confusion, je lui ai affirmé sans hésitation aucune, que ce n’était pas dans mes plans à court terme. J’ai eu le poste quelques jours plus tard, mais j’ai toujours gardé un souvenir bizarre de cette question « embarrassante »!

Selon les normes en vigueur aujourd’hui, une telle question serait jugée de nature discriminatoire. En effet, les temps ont changé: rien ne peut justifier qu’on porte atteinte aux droits d’un candidat en posant des questions qui contreviennent à la charte des droits et libertés.

Alors, pourquoi déplore-t-on qu’il y ait encore des gestionnaires (et même des recruteurs) qui osent poser de telles questions en entrevue?

Essayer de comprendre les préoccupations des gestionnaires…

Permettez–moi d’être très claire d’entrée de jeu: il n’est jamais acceptable qu’un gestionnaire pose une question de nature discriminatoire. Cela dit, les gestionnaires modernes tout comme ceux d’autrefois, ont des préoccupations sérieuses qui peuvent les inciter à franchir une certaine frontière éthique lorsqu’ils souhaitent s’assurer que les futurs employés se conformeront aux pratiques établies dans leur entreprise.

L’hypothèse que je fais est que de comprendre le motif qui est derrière une question discriminatoire peut aider à mieux y faire face. Une réponse ou réaction appropriée à ce qui est, disons-le à nouveau, une question inadmissible, peut jouer grandement en la faveur d’un candidat.

Quelles sont les raisons les plus fréquentes qui amènent les gestionnaires à poser des questions discriminatoires?

  • L’absentéisme ou les retards chroniques: Les gestionnaires de services aux clients (centres d’appels, bureaux de réservations, etc.) doivent pouvoir compter sur l’assiduité et la ponctualité de leurs employés. Il en va de la viabilité et de la qualité de leurs services.
  • Les congés de maternité et de paternité: Tous connaissent le phénomène contemporain de la pénurie de main d’œuvre qualifiée. Celle-ci se manifeste dans des secteurs névralgiques tels les services de santé, les services d’indemnisation des compagnies d’assurance pour ne nommer que ceux-ci. La crainte d’investir dans la formation d’une employée pour apprendre quelques mois plus tard qu’elle partira en congé de maternité pour 18 mois…ou qu’il partira en congé de paternité pendant plusieurs semaines inquiète plus d’un gestionnaire à la recherche d’une certaine stabilité dans son équipe.
  • Les absences ponctuelles: Nous le savons bien…les ressources humaines sont souvent comptées dans les entreprises et les calculs de main d’œuvre n’allouent pas nécessairement toute la marge de manœuvre requise pour faire face aux imprévus : une jeune maman qui doit s’absenter pour soigner son petit enfant…et qui attrape à son tour le vilain virus; l’employée d’âge mûr qui doit accompagner son parent âgé lors d’une hospitalisation imprévue et bouleversante, etc.
  • Les demandes d’accommodements raisonnables: Les gestionnaires doivent maintenant savoir composer avec des demandes d’accommodements de la part des employés qui proviennent d’origines diverses, ce qui fait naître des inconforts simplement dus à certaines possibilités, dont les suivantes: Ce futur employé demandera-t-il qu’il y ait un lieu de prière où il pourra se retirer à quelques reprises pour se recueillir? S’absentera-t-il pour participer à des fêtes religieuses qui correspondront à des périodes très actives du travail?
  • La main d’œuvre trop qualifiée: Certaines questions peuvent également placer un candidat dans l’embarras lorsqu’un gestionnaire veut valider son intérêt pour le poste malgré une éducation supérieure aux exigences du poste. Le candidat perçu comme étant surqualifié peut se voir comme étant victime d’une certaine forme de discrimination.

Il s’agit d’une liste bien partielle des raisons qui peuvent amener un gestionnaire à déborder du cadre acceptable d’une entrevue en posant des questions inacceptables.

Savoir réagir de façon courtoise, respectueuse et stratégique

Attardons-nous un moment aux réactions possibles et à leurs mérites respectifs:

  • Répondre par une question. Un candidat n’est jamais tenu de répondre à une question à portée discriminatoire. Cela fait partie de l’exercice fondamental de sa liberté. Cela dit, est-ce la meilleure façon de faire face à ce qui est le plus souvent une maladresse du gestionnaire plutôt qu’une intention véritable de discrimination? Voici une réponse possible: « Je crois comprendre le bien-fondé de votre question sur ma situation familiale actuelle. Vous comprendrez qu’il s’agit là d’une question sensible qui ne porte pas directement sur la nature de l’emploi et de ses exigences. Puis-je vous demander de reformuler votre question? »
  • Répondre à l’intention plutôt qu’à la question. Vous avez deviné la préoccupation de votre interlocuteur et vous savez où il veut en venir. Pourquoi ne pas prendre les devants et au lieu de vous offusquer, reformuler la question afin qu’elle devienne acceptable? Par exemple, à la question: « Est-ce que vos enfants sont en garderie? » vous pourriez répondre : « Si je comprends bien votre question, vous me demandez si mes engagements familiaux ne nuiront pas à ma capacité de rencontrer les attentes du poste? »
  • Répondre directement à la préoccupation en faisant fi de la question. À la question: « Comptez-vous avoir des enfants? » j’aurais pu répondre : « Je comprends que ce poste exige professionnalisme, disponibilité et assiduité. Soyez assuré que cela est ma ferme intention de rencontrer ces attentes comme j’ai pu le démontrer amplement dans mes emplois antérieurs. »
  • Répondre aussi avec son non-verbal. Un candidat aura l’occasion de démontrer au gestionnaire ou au recruteur un côté de sa personnalité en s’exprimant avec calme et aplomb lorsque confronté à une question dérangeante.

Lors de votre prochaine entrevue, tentez d’abord de comprendre l’intention du recruteur derrière chacune de ses questions afin de lui fournir les éléments qu’il souhaite réellement obtenir.