Harcèlement au travail

Par Johanne Menard
Contributrice de Monster
La récente série télévisée intitulée Mr. Siegfried relate l’histoire du propriétaire du premier grand magasin à rayons établi à Londres. Le magnat du magasinage cumule non seulement des succès commerciaux mais aussi des scandales personnels qui ultimement sont dénoncés dans une pièce de théâtre présentée devant le roi d’Angleterre et le gratin de la société londonienne. Humilié, vexé au comble de l’insoutenable, M. Siegfried se tourne vers son comptable qui lui glisse à l’oreille : « Ces choses finissent toujours par passer… ». Cette petite phrase insuffle à nouveau l’espoir à ce richissime commerçant qui finit pas esquisser un timide sourire annonciateur de sa volonté de rebondir devant l’adversité. Bref, de la magie télévisuelle, bien sûr!
Je me suis quand même demandé si la philosophie de ce comptable imperturbable se vérifiait bien lorsqu’un employé ou un gestionnaire vit des situations difficiles en milieu du travail? Est-ce qu’une victime de harcèlement psychologique, de manœuvres d’intimidation, de comportements de bullying, etc. peut compter sur le fait que « le temps arrangera les choses…? Les « choses finissent-elles par passer et reviennent-elles vraiment à la « normale » un jour lorsqu’on a été victime de harcèlement psychologique ou sexuel dans son milieu de travail?
Peut-être en va-t-il ainsi pour des êtres d’exception dotés d’une résilience psychologique hors du commun mais est-ce le lot, en général, de la moyenne des travailleurs qui ont traversé ces circonstances pénibles au cours de leur vie au travail?
La vraie vie…
Au cours de ma carrière en gestion des ressources humaines, j’ai eu l’occasion d’accompagner des gestionnaires aux prises avec la gestion des situations de harcèlement psychologique impliquant des employés qui se disaient victimes de comportements de harcèlement de la part de leurs supérieurs, de leurs collègues ou même de leurs clients. La tenue d’enquêtes afin de faire la lumière sur ces situations m’a aussi permis de côtoyer des témoins bien involontaires de ces situations. J’ai retenu de ces quelques observations bien personnelles qui ne font certes pas office de « vérités » mais offrent des pistes de réflexion :
· Les victimes du harcèlement psychologiques ne se limitent pas à la seule personne visée par les comportements d’humiliation et de vexation. Le gestionnaire qui doit prendre la responsabilité de faire cesser la situation ainsi que les témoins de celle-ci sont tous touchés et règle générale, vulnérabilisés par celle-ci. Le harcèlement psychologique affecte le moral non seulement de la victime mais aussi celui de son entourage.
· Règle générale, selon mon expérience, bien que la situation déplorable soit gérée de main de maître, il arrive plus souvent qu’autrement que la victime du harcèlement et le harceleur, finissent par quitter l’entreprise, à court ou moyen terme. Je me souviens entre autres du cas où un présumé harceleur, innocenté à la suite de l’enquête, quittait son employeur après plus de 25 ans de loyaux services. Ces départs constituent la plupart du temps des pertes importantes en capital humain pour l’entreprise.
· Les gestionnaires qui sont responsables de la gestion des cas de harcèlement psychologique sont souvent épuisés par l’expérience qui les amène à déployer des habiletés et qualités relationnelles parfois inusitées pour eux. Ils sont en terrain peu connu, craignent de faire des erreurs procédurales, et doivent pouvoir compter sur du soutien assidu de la part de leurs supérieurs et de leurs partenaires des ressources humaines afin de mener à bien la gestion de ces circonstances délicates.
Les conditions qui peuvent faire la différence dans le rétablissement…
Disons les choses franchement, il n’y a pas de solution magique, comme le laisse entendre ce cher M. Siegfried, aux dégâts inévitables qui sont conséquents à la présence du harcèlement psychologique en milieu de travail, que celle-ci soit réelle ou appréhendée. Ce qui ne veut pas dire, absolument pas, qu’il ne faut pas dénoncer les situations de ce genre. Mais sans contredit, à la lumière de ma petite expérience en la matière, il faut réfléchir avant de choisir comment on passera à l’action tant au niveau de la dénonciation que de la gestion de la situation.
Une victime aura, selon moi, plus de chances de se rétablir après avoir dénoncé une situation de harcèlement potentielle, si elle a :
· D’abord soigneusement noté les faits qui sont arrivés plutôt que les simples perceptions subjectives;
· Décidé d’aborder le présumé harceleur par elle-même pour le confronter à ces faits et lui demander clairement de cesser les comportements jugés vexatoires et humiliants;
· Préparé avec précaution l’approche qu’elle aura face au présumé harceleur lors de cette rencontre et privilégié un entretien de clarification, d’échange, dans un contexte et à un moment approprié plutôt qu’une confrontation accusatrice et émotionnelle;
· Opté pour aller chercher du soutien professionnel (préférablement celui d’une source confidentielle tel ceux offerts dans le cadre d’un programme d’aide aux employés ou de son médecin traitant) afin de préserver son estime de soi, s’approprier ses sentiments et ses émotions et adopter des comportements efficaces et pertinents;
· Privilégié la plus grande discrétion possible. Plus la situation est sujette aux rumeurs et aux qu’en dira-t-on, plus il est difficile, après les faits, de retrouver un climat serein. Le respect de la confidentialité dans tous les échanges s’impose si l’on espère un retour à la normale par la suite;
· Choisi de faire une plainte officielle contre le présumé harceleur seulement lorsque les autres recours n’auront pas porté fruit.
Les gestionnaires ont aussi leur part de responsabilité dans l’établissement de conditions favorables au rétablissement post-harcèlement tant pour la victime que pour la personne accusée de harcèlement, pour les témoins directs et pour les membres de l’équipe.
Les gestionnaires auront avantage à :
· Reconnaître plus tôt que tard les signes précurseurs de harcèlement psychologique au sein de leur équipe et à intervenir dès que possible;
· Travailler main dans la main avec leur conseiller en ressources humaines et ne pas improviser ou cacher la situation. À défaut d’avoir de telles ressources sur place, ils se renseigneront à même les excellents outils développés par la Commission sur les normes du travail;
· Former les membres de leur équipe sur la prévention du harcèlement psychologique en milieu de travail de façon répétée afin que ce sujet demeure à l’esprit de tous; · Demeurer calme, bien ancré sur l’objectif ultime qui est d’enrayer le harcèlement et de protéger les personnes qui en sont victimes.
Il y a certes moyen de survivre à un épisode de harcèlement psychologique en milieu de travail mais il faut savoir que la facilité est rarement au rendez-vous à ce chapitre. Ce sont les actions choisies qui font « passer les choses » et non le temps qui passe!