La loyauté a son prix!
Pour Johanne Menard
Contributrice de Monster
Les parents des baby boomers ont connu une époque pendant laquelle la loyauté envers un employeur était une valeur de la plus haute importance, voire à ne pas transgresser. C’est à peine caricatural de dire qu’on se considérait tellement chanceux d’avoir un emploi et de pouvoir compter sur un gagne-pain régulier que l’on n’aurait pas oser quitter un employeur pour un autre dans le seul but d’obtenir une rémunération supérieure. C’eût été vu comme mordre la main nourricière! La loyauté valait son pesant d’or…à tout le moins au niveau du principe. Car, au terme de très nombreuses années de services chez un seul employeur, et parfois au prix de sa santé, presque toujours sans s’être enrichi grandement, on se résignait à prendre une retraite, fierté au cœur et montre en or au poignet pour les plus chanceux! Mais les temps ont changé et nous sommes à l’époque du « Moi et cie » (nom d’un magazine), du « Vous le valez bien! » (publicité de produits de beauté), etc. : autant de slogans qui font appel au culte de l’individu et à la valorisation de sa propre personne. Plusieurs se disent convaincus de leur « valeur sur le marché » et s’attendent à être reconnus de façon tangible par leur employeur. Mais qu’en est-il vraiment?
Un article récent (1) publié dans le magazine Forbes sous la plume de Cameron King soutient un argumentaire étonnant sur le traitement salarial des employés loyaux et ouvre la porte à un débat bien intéressant. King affirme, chiffres à l’appui, que les employés loyaux sont perdants lorsqu’on compare l’évolution de leur rémunération au fil des ans à celle de ceux qui changent d’employeurs plus fréquemment. Ces derniers, selon les données évoquées par King, gagneraient 50% de plus que les employés « loyaux » au terme de leur carrière. Triste sort en effet pour les « loyaux » si on les compare à ceux qui « osent » changer de carrière afin de favoriser leur ascension salariale.
Des explications SVP!
Toujours selon King, les employés qui demeurent avec le même employeur reçoivent des augmentations de salaire basées sur leur salaire d’embauche. Depuis la récession des années 2007-2008, ces augmentations peinent à dépasser les 2% de la rémunération de base. Les employeurs ont réussi à positionner ces faibles augmentations comme étant la norme…alors que l’économie a évolué depuis! Les employés ont donc réduit leurs attentes et ne font que peu de cas du fait qu’ils sont voués à de petites améliorations salariales annuelles. Pourtant, nous dit King, le marché du travail est en mal de recruter de la main d’œuvre qualifiée. Alors qu’ils pourraient exiger d’être mieux payés, sur la base de leurs compétences et de leurs expériences de travail tant recherchées, la plupart de se contentent d’augmentations annuelles quasi faméliques…Voilà un paradoxe significatif! Ceux qui osent franchir la clôture et changer d’employeur se voient offrir de meilleurs salaires dès leur embauche. Qui, en effet, changera d’employeur, si ce n’est pour une augmentation assez significative de son revenu?
L’envers de la médaille…
L’article se penche également sur la perception souvent négative des recruteurs lorsqu’ils constatent une succession de changements d’emplois rapides dans un curriculum vitae. La tentation est forte d’en conclure qu’il y aura manque de stabilité et de sentiment d’appartenance suffisant pour investir dans ce futur employé. Selon les informations obtenues par King, tout dépend du délai entre les changements d’employeurs et de la perception de ces derniers. Une fréquence de changements d’employeurs entre trois ou quatre années pourrait, selon lui, être bénéfique.
L’auteur poursuit en disant que les compagnies ont une responsabilité non négligeable dans leur pouvoir de retenir les employés de talent. Elles ont à investir, plus tôt que tard, dans le développement et la promotion de ceux-ci afin qu’ils ne soient pas tenter d’aller voir si l’herbe est plus verte chez le voisin. Pourtant, on le sait, malgré de bonnes intentions et une volonté exprimée en ce sens, peu d’employeurs ont mis en place de véritables programmes de développement et de promotions rapides visant à conserver les meilleurs.
King cite également Andrew Bauer, PDG de la compagnie Royce Leather, qui évoque aussi l’importance des facteurs non-monétaires dans l’équation. En effet, les employés sont loyaux envers leur employeur non seulement à cause de leur rémunération salariale mais aussi en fonction de leurs besoins physiques, psychologiques et sociaux. Tout le monde n’a pas la résilience requise par des changements fréquents d’employeurs ce qui suppose, au point de départ, une prise de risque sans garantie de succès, une capacité d’adaptation à une culture d’entreprise différente, un nouveau réseau social, etc.! Mais pour ceux qui en ont la capacité et la volonté, selon King, cela est payant.
Et la morale de cette histoire…
King conclut en disant que les candidats ne peuvent contrôler les employeurs et leurs pratiques quant à la rémunération de leurs employés loyaux ou de leurs nouveaux employés. Il revient donc à chacun d’être le PDG de sa propre carrière c’est à dire de faire les choix et de prendre les décisions qui favoriseront le plus la croissance de sa rémunération. À l’image des compagnies qui font valoir la nécessité de maintenir leur marge de profits et leur image de marque afin d’être viables sur le marché, chaque individu a le devoir de gérer sa carrière de manière à favoriser sa rentabilité personnelle en investissant dans son développement et en demeurant à l’affût des changements d’employeurs propices à l’amélioration de ses revenus. À chacun donc de prendre les rênes de sa destinée professionnelle et d’entrevoir la loyauté sous son angle le plus positif.