Ne faites jamais ce que vous pouvez déléguer

La plupart des nouveaux leaders cèdent à une irrésistible impulsion de travailler plus. Car comment vous assurer autrement que votre projet, le plus gros mandat qu’on vous ait jamais confié, soit réalisé à temps et sans bavure ? Ce réflexe du "Fais-le toi-même", comme tous les autres automatismes, sert en outre de substitut à la réflexion.

«Le plus grand défi est de vous détacher de votre travail », dit Mark Christensen, de Learning Point, qui a élaboré une série d’outils de diagnostic sur le travail d’équipe et formé des cadres dans des entreprises telles que PacifiCorp et Tektronix. «Vous devez commencer à demander des solutions aux autres. Mais il est plus facile de résoudre vous-même les problèmes – parce que c’est ce que vous avez toujours fait.»

Todd Conger, 30 ans, est tombé dans le piège peu après avoir été nommé chef d’équipe à Morton International, ce fabricant de coussins de sécurité gonflables. Après deux années passées au secteur de la production, Todd est devenu coordonnateur des procédés de fabrication.

Instinctivement, il donnait un coup de main. S’il voyait que son équipe de onze personnes prenait du retard par rapport à l’échéancier, il exécutait lui-même le travail. Mais plus il en faisait, moins le travail semblait avancer et moins son groupe était motivé. Les employés s’étaient mis à étirer les pauses-café, et à attendre des directives pour régler les problèmes les plus simples. Pourquoi ? Parce que le groupe percevait l'aide offerte par Todd comme une insulte.

«Je croyais les aider, par exemple en courant emballer des pièces à leur place, se rappelle Todd. Mais le message qu’ils recevaient alors, c’est que je les trouvais lents à la besogne, comme si j’avais voulu me poser en modèle et leur montrer que je travaillais plus vite qu’eux.»

Todd a vite compris, comme tout leader l’apprend un jour ou l’autre, que son travail ne consiste pas à exécuter les tâches que son équipe est censée accomplir. Son travail, c’est de fournir les outils, la motivation et l’orientation dont l’équipe a besoin pour exécuter ses tâches elle-même. La leçon est simple et, malheureusement, facile à oublier : ne faites jamais ce que vous pouvez déléguer.

«Gérez le processus, pas le contenu», insiste Anne Donnellon, professeur au Babson College et auteure de Team Talk. Le vrai travail d’un chef, dit-elle, porte sur «les échéanciers des projets et le cheminement de l’information. Trop de leaders essaient de contrôler les choses dans les moindres détails. Ils se voient comme des exécutants, ce qui pousse les membres de l’équipe à assumer moins de responsabilités.»

Quand un chef de groupe gère et le contenu et le processus, il risque non seulement de saper le moral de ses troupes mais aussi de se vider complètement de son énergie, comme l’a constaté Brian Ascher, de Intuit – il n’y avait plus assez d’heures dans une journée pour qu’il assume ses nouvelles fonctions en plus de mettre la main à la pâte (c’est-à-dire de suivre chaque détail du logiciel en cours de programmation).

«Comme directeur de projet, je dois voir à ce que le produit soit bien conçu, bien lancé, bien positionné sur le marché et bien ciblé, dit-il. Mon grand défi était d’établir des priorités d’action parmi toutes les sollicitations qu’on m’adressait. Quelles sont les choses que je peux refuser ? Celles que je peux déléguer à un subordonné ? Et celles que je peux soumettre à mon supérieur immédiat ? Quelles décisions doivent être prises aujourd’hui?»

En bon ingénieur, Brian a adopté une attitude pratico-analytique pour relever son défi. Il a commencé par déterminer les trois principaux facteurs de succès du produit. Et chaque matin, en repassant la liste des choses à faire dans la journée, il relevait les activités qui cadraient avec ces facteurs de succès (dans le but de s’en occuper lui-même), et les éléments qui n’y apporteraient pas grand-chose (qu’il déléguait à l’un des quinze ingénieurs de son équipe).

«Je passais beaucoup trop de temps sur des petits aspects sans rapport avec mes grands objectifs, poursuit Brian. J’ai dû réfléchir à la façon de répondre aux besoins des gens qui demandent de l’aide sans y passer mes propres heures de travail.»